Bongou offre une tribune libre aux artistes réunionnais qui éprouvent le besoin de s'exprimer, en toute liberté, sur les récents faits. Vincent Fontano nous a contactés, pour évoquer ” l'Après “.
L'époque est à la colère
L'époque est à la colère, l'époque est à la prise de parole quelle qu'elle soit. L'époque est à la contestation des grands ensembles. Tant il est vrai que le monde devenu trop grand nous échappe. L'époque est à la polémique, d'où qu'elle vienne. Le consensus n'est plus de mise, il n'y a plus de vérité établie, il n'y a plus de vérité tout court, d'ailleurs on ne la cherche plus la vérité, on la phagocyte à coups d'éléments de langage que l'on hurle pour qu'ils s'imposent. L'époque est aux envies paradoxales: au monde immense nous voulons des réponses simples. À la brutalité quotidienne nous opposons la préservation du moi, intime, tant pis s'il est solitaire, tant pis s'il mène au tous contre tous.
C'est que nous avons tant et tant besoin d'exister pour faire sens qu' à ce jeu de qui existera le plus, les illusions béates des réseaux sociaux où nous déversons notre hargne sont comme des coups de sang, les désirs mimétiques deviennent de longs cris car les réseaux sociaux font foule et la foule est effrayante. Pour ma part je ne sais pas si cela est bien, je ne sais pas si cela est juste. Je n'ai pas de réponse. Je cherche, j'essaye de comprendre mais comme nombre d'entre nous, je fais le constat grave qu'il me manque des outils.
La nuit ne dure pas éternellement
Pourtant d'où je suis ; je parle là de ma position d'auteur; je parle là de ma position de jeune adulte réunionnais; j'ai quelques certitudes. En ces soirs de crises, d'émeutes, j'ai quelques certitudes et elles me terrifient.
J'ai la certitude qu'après le feu – oui, pour ceux qui en doutent le feu s'éteint toujours, la nuit ne dure pas éternellement – il nous faudra nous regarder en face et faire le constat de ce que nous avons traversé. Il nous faudra faire le constat de ce que nous avons fait de nos fils et de nos filles, de la génération qui vient (il faut croire qu'une génération sacrifiée n'aura pas suffit), il faudra que nous regardions en face ce que nous avons provoqué et ce que nous avons laissé faire .
Les voix raisonnables se sont tues
Il faudra scruter les mains de ces enfants à qui l'on a laissé croire que la rage court en toute impunité. Ces fils, à qui l'on a laissé croire que la sang et le feu sont des moyens honnêtes de contestation. Je les ai vus courir les rues, en meute. Briser par jeu, brûler par fascination de la flamme. À hurler la terreur qu'ils font peser sur l'île. Les voix raisonnables s'étant tues. Leurs aînés ne sachant pas exactement s'ils comprenaient ou approuvaient. Si leur mépris ne se mêlait pas à la fascination.
Après le feu, il nous faudra regarder nos fils et nos filles en face et voir leurs transformations. En espérant qu' ivres de leur toute puissance, ils ne s'attaqueront pas aux hommes. En espérant qu'après avoir vu leurs visages illuminés par la rage nous puissions les aimer encore. En espérant que le jour revenu, nous aurons mieux à leurs proposer que l'exil ou l'enfermement, ou pire encore le statut quo.
Vraiment, qu'aurons-nous à leur opposer, une fois la nuit finie. Nous qui avons pris plus de soin à construire les routes qu'aujourd'hui ils habitent qu'à bâtir les hommes qu'il sont censés être.
Le feu est lancé en notre nom
Nous ne pourrons pas nous défausser puisque que le feu est lancé en notre nom.
À bien des égards, ils auront des raisons légitimes de nous haïr. Nous qui avons créé ce monde du déclassement, du tous contre tous. Nous qui avons habillé le mensonge des attributs de la vérité. Nous qui avons élevé la polémique au rang d'art, comme si dire « non » suffisait à rendre une parole intéressante. Nous, qui avons construit l'illusion que toutes les paroles se valent. Comme si le bruit et la fureur étaient à entendre au même titre que la raison. Nous qui n'entendons celui qui n'a rien seulement quand il a la bave aux lèvres. Le mépris s'arrêtant à la longueur du couteau.
Trouver la force du pardon
Aujourd'hui, j'espère que la nuit ne sera pas trop longue. Qu'après le feu nous saurons manger les cendres. Car le vent est sans pitié pour les flammes mal éteintes. J'espère que la nuit ne dure pas trop pour que nous puissions trouver la force du pardon.
Vincent FONTANO