Quel avait été le meilleur label garage-punk de la fin des années 2000/ début des années 2010 ? La réponse était sans conteste, du moins pour moi, Hozac Records.
Le label de Chicago, dans l'Illinois, était apparu en 2006, en plein milieu d'une des plus belles vagues du garage-punk américain, et avait pleinement profité de l'effervescence créée par le renouveau de ce mouvement et par son exportation à l'international. Véritable dénicheur de talents, grâce notamment à une connaissance approfondie des diverses scènes du rock'n'roll mondial héritée de l'époque de son fanzine Horizontal Action, Hozac Records nous avait abreuvé pendant une dizaine d'années de tout un tas de petites merveilles garage-punk, dark-wave, arty-punk weirdos, indie-rock, hardcore et garage lo-fi... Suivre Hozac Records, c'était faire le choix de la découverte et de l'excellence ! Il fallait aussi bien avouer que son équipe avait une technique de vente imparable et novatrice, souvent imitée mais rarement égalée par la suite : fournée simultanée de plusieurs disques à chaque trimestre, éditions limitées ''gold'' pour chaque tirage, entretien de la collectionnite aiguë de ses fidèles disciples avec divers abonnements à son club de diffusion de 45 tours, le fameux HookUp Klub, etc...
Les Make-Overs, groupe sud-africain de Prétoria, avaient justement fait partie de la troisième salve du HookUp Klub de Hozac Records. Leur single Surf Bored m'était parvenu à la Réunion au printemps 2013.
J'y avais découvert un duo mixte - lui, Andreas Schönfeldt, à la guitare, elle, Martinique Pelser à la batterie, les deux partageant le chant (frissons garantis à l'écoute de la voix perçante de la chanteuse). Le groupe s'aventurait aussi bien dans les eaux marécageuses d'un garage rampant et poisseux (le tubesque Surf Bored) que dans celles d'un rock stoner/grunge méchamment énervé (Will It Ever Grow Back). Les Make-Overs faisaient à la fois penser aux Gories, aux White Stripes, à Mudhoney et aux Queens Of The Stone Age. Pour ne rien gâcher, la pochette était signée par Lorcan White, frangin de Joe Dog et pote de Konrad Botes : la petite clique sud-africaine de BitterKomix s'affairait déjà autour du jeune groupe, et les portraits de Andreas et Martinique, exécutés d'une main de maître par Anton Kannemeyer vers la même époque, en témoignaient aussi.
En creusant un peu plus, je m'étais procuré, en bon amateur de petits formats, le premier Ep des Make-Overs, Celebrate The Harvest, sorti sur KRNGY Records l'année précédente (un sacré tube aussi, ce morceau !). J'avais surtout le plaisir de découvrir qu'un groupe en phase avec mes goûts musicaux se trouvait à moins de quatre heures d'avion de la Réunion. J'envisageais même de les y faire jouer après la tournée de Mark Sultan. La naissance de mon fiston en décida autrement et me fit disparaître quelques temps dans les limbes d'une seconde paternité...
Tournées à La Réunion
Un soir de mai 2015 - deux années plus tard donc - je retrouvais enfin le chemin des concerts. Les Make-Overs inauguraient mon grand retour aux affaires du rock'n'roll. Ils jouaient aux Potirons de Saint Denis. Cette prestation dévastatrice était la dernière date de la première tournée réunionnaise du groupe sud-africain, organisée par la fine équipe de Maudit Tangue Records, que je rencontrais aussi pour la première fois à cette occasion.
Si le concert m'avait comblé, il avait pourtant manqué la pièce maîtresse du groupe : les Make-Overs avaient refusé de jouer Surf Bored. Et ça m'avait passablement énervé. Au troisième rappel, j'avais bien essayé de m'égosiller dix minutes durant, d'hurler ''Surf Bored, Surf Bored'' en continu - j'avais même réussi à embarquer dans mon délire mon voisin (je découvrirais plus tard qu'il s'agissait d'Appollo, le fameux scénariste de bédés), rien n'y avait fait. Les deux musiciens s'étaient simplement contentés d'observer, circonspects, ma vaine obstination. Ils n'avaient pas joué le morceau non plus lors de leur deuxième tournée, l'année suivante, ni sur celle de 2017. Le morceau Surf Bored était définitivement tombé dans l'oubli.
Les Make-Overs
Voilà... C'était l'histoire de ma découverte des Make-Overs. Au delà de cette expérience, on aurait encore pu parler des heures durant de ce groupe. Raconter leur joie de jouer, leurs sourires et leur complicité sur scène. Analyser leur apparente fragilité, qu'ils semblaient vouloir cacher tous les deux sous leur épaisse tignasse rousse. Observer leur jeu de scène, déhanchement de tête saccadé et millimétré pour l'une, shoegazing statique pour l'autre. Discuter d'une recette musicale unique, d'un son identifiable entre tous, de cette touche Make-Overs très personnelle et caractéristique. Passer en revue les douze albums du groupe - un par an depuis sa formation en 2010 ! Et surtout, retracer leur conquête du monde du rock'n'roll durant leurs glorieuses années 2017/18 (TransMusicales de Rennes, émission L'album de la Semaine de Canal+, concerts dans les SMAC françaises, tournée européenne - choses assez incongrues pour un groupe de rock sud-africain). Aborder enfin leurs trois virées réunionnaises, mais aussi comme beaucoup, leur traversée du désert (du Kalahari ?) en pleine crise sanitaire.
La Quatrième Tournée Réunionnaise
Maudit Tangue Records fêtait ses dix ans en 2022 et avait profité de l'occasion pour sortir sa sixième compilation Maudit Tangue - pour la première fois en vinyle ! - un très beau condensé de ce que la Réunion pouvait offrir en matière de punk et de rock'n'roll (sous-genres variés, groupes de qualité, lien tenace avec la bd locale (superbe illustration de l'artiste Hippolyte). Les Make-Overs étaient le seul groupe non-réunionnais admis dans ce club sélect, dénotant ainsi une pleine intégration du groupe sud-africain à la scène rock locale, grâce aux liens étroits tissés au fil des ans avec Maudit Tangue Records (tournées, sortie de disques, renvoi d'ascenseur avec les concerts de Kilkil en Afrique du Sud, etc...).
La sortie de la compilation avait été fêtée dignement au mois de novembre dernier avec quatre concerts des Make-Overs (Le Toit à St Pierre, le Théâtre Canter à St Denis, le Zinc à St Leu, le Bisik à St Benoît), et soutenus par la plupart des groupes réunionnais présents sur la compil (Thee Orlando's, Kilkil, Tuelipe, Tukatukas, Riske Zero, MonOi ! et Lomor). Cette quatrième tournée réunionnaise nous avait montré un groupe toujours aussi convaincant et volontaire. On ne pouvait qu'espérer pour lui qu'il réitère cinq plus tard ses exploits européens de 2018. Et qu'il nous joue un jour Surf Bored.