Si comme moi, tu suis avec délice la production littéraire de l’auteure Julie Legrand, qui nous avait jusqu’alors plutôt habitués au format nouvelles, tu vas te réjouir de la sortie de Constellation du corbeau, son nouveau roman, court (96 pages), mais non moins décapant. Satire de la routine conjugale sur fond de quête identitaire, ce nouvel opus est un bain d’acide où viennent se dissoudre la sottise, l’arrogance et l’ennui, fléaux de nos vies.
Une quête parodontale
Au commencement, un problème de dents : « Le rasoir à la main, j’ai tenté de me souvenir à quel moment mes dents avaient commencé de pourrir, comme une personne endeuillée chercherait à mettre des mots sur le sentiment provoqué par la perte d’un proche. », déplore le narrateur, en guise d’introduction. Voilà qui n’est pas sans rappeler la première page de La métamorphose de Kafka, où la transformation physique du héros est source d’une angoissante incompréhension. Nous sommes dès lors plongés dans un dilemme aussi cocasse qu’insensé, et le ton est donné.
Un antihéros à la Houellebecq
Le narrateur, antihéros proche de ceux de Houellebecq, entame donc sa quête parodontaire. Qui n’est qu’une goutte dans le verre débordant de ses fardeaux. Dépressif, englué dans un mariage apathique, il vient en prime d’être licencié. De là, un délitement de sa vie sociale, familiale et sentimentale. Comme Julie Legrand excelle dans la peinture de mœurs, les tableaux sont réjouissants.
Des portraits jouissifs
Celui de Laurence, l’épouse nymphomane obsédée par la cuisine grasse et le télé-achat, est à lui seul un morceau de bravoure : « Il ne faisait aucun doute que Laurence se vengeait de l’humiliation que je lui faisais subir en m’imposant un gavage en bonne et due forme et, le cœur au bord des lèvres, vautré devant le plateau chargé des reliefs de ses plantureux repas, endurant stoïquement les pleurnicheries des invités du plateau de quelque émission de témoignage, je repensais au conte Hansel et Gretel, ces deux enfants contraints de s’empiffrer de pain d’épice, et laisser palper à la sorcière l’évolution de leur embonpoint au moyen d’un doigt passé au travers des barreaux d’une cage. »
La tragicomédie chez Pôle Emploi
Mais Jean-Pierre Le Hideux, le formateur tyrannique de Pôle Emploi, que l’on aurait pu tout aussi bien trouver au guichet du Château de Kafka reste mon grand favori, au royaume des pourris. Tout lecteur qui aura eu à faire à la matrice se reconnaîtra dans l’enveloppe du pauvre hère soumis aux multiples questionnaires délétères. Ici, dialogues hilarants et onomatopées font basculer la narration vers la tragicomédie, sans qu’on devine pour autant la sortie. La chance d’être réinséré plane désormais : « Pro actif je suis et requin serai dans mes entretiens d’embauche! », ânonne notre narrateur, à présent lobotomisé à souhait.
Plus dure sera la chute…
Comme j’ai déjà quelques bouquins de Julie Legrand au compteur, je sais que la retorse maîtresse de la chute et du rebondissement ne versera dans aucune facilité pour assurer ma tranquillité. Lorsque le couple d’amis poussiéreux sort des cartons, subtiles caricatures sonnant le glas d’un quotidien en pleine déconfiture, le récit vire au carnage, dont je tairai tous les rouages.
Je peux juste t’assurer que la plume noir corbeau de l’auteure, trempée d’ironie, m’a mise en frénésie : « Puisqu’il apparaissait que je ne pouvais accorder la moindre confiance à ma femme et que celle-ci refusait de me considérer autrement qu’en étalon voué à bander ses attributs reproducteurs sous sa surveillance impudente, il devenait urgent de mener un plan d’action… »
Le découvrir est ta mission …
Zerbinette
Constellation du corbeau, Zonaires éditions, avril 2020, 96 p, 12 euros