LE TROLL LÉ MOL?

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SOIS FORT, DÉCRIS LE DÉCOR

ZERBINETTE : Aucun. Ah si. Comme il est de notoriété publique que les gosses c'est salissant, le collectif a investi dans  deux bâches blanches qui servent à la projection de morve de Troll, puis de boue. C'est tout. Ah oui. Il y a aussi un bureau professoral, un magnétophone, quelques accoutrements plus du tout dans le vent. Franchement décevant. 

MANZI: Un bureau blanc à tiroir unique est placé sur une bâche blanche qui ne demande qu'à être souillée. Les giclées ne se feront pas longtemps attendre dans cet immaculé institut où l'âge médico-légal a été fixé à 8 ans sans exclure les parents : c'est bien l'autoritarisme des grands, voire le fascisme des dirigeants qui va être disséqué de but en blanc.

PASSE L'HISTOIRE À LA PASSOIRE

ZERBINETTE : C'est l'histoire de deux jumeaux dans les années cinquante (les  auteurs n'ayant pas eu connaissance de  l'avènement du numérique et de la modernité dans le milieu écolier s'en tiennent encore aux vieux clichés). Leur enseignante se suicide au sable de la cour parce que les gosses posent trop de questions. Vl'a pour l'originale satire professorale. Elle est remplacée par un troll dont j'ignore encore le symbole. Ce dernier instaure le travail forcé et bouffe les récalcitrants. Alice et Max s'insurgent mais les adultes s'en cognent. Comprendre : les grands sont des charognes. Alors ils apprennent le Troll (le langage, oui oui) et parviennent à un traité de paix, car la communication reste le nerf de la civilisation. Voilà pour ton édification.

MANZI: Primo, je ne peux rien dire de méchant sur l'auteur de ce texte, Dennis Kelly, tant cet auteur mérite mon respect éternel pour l'écriture d'une des plus brillantes séries télévisées anglaises : Utopia. L'histoire de ce troll est souvent très drôle car l'absurde y est omniprésent et les niveaux d'interprétation fluctuants

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SCÉNOGRAPHIE AU BISTOURI

MANZI: La photo ci-dessus – prise à la fin du spectacle à La Fabrik – résume à merveille l'humour régressif utilisé sans pudeur par ce troll directeur : des projections de matières visqueuses, de la boue dans les escarpins, une limace dans les cheveux, des chips dans la culotte, des vers de terre dans le sandwich, ... Pour les enfants, c'est un ravissement et, pour les parents immatures, une vraie cure. Cet esprit potache et faussement naïf me rappelle forcément ce monument de drôlerie qu'est le goûter choco-punk de Fred Tousch.

ZERBINETTE : Pas de quoi sortir le scalpel. Deux espaces : le monde écolier symbolisé par le bureau, le monde extérieur en avant scène et on ne sort pas de là. Pas d'innovation, et grande précarité côté lumières et son.

CE QUI T'A MARQUÉ, SANS T'ÉTALER

ZERBINETTE : L'erreur de cible. Le spectacle est prévu pour les jeunes à partir de huit ans. Soit. Mais il mobilise un registre de langue tellement ardu qu'avant la sixième c'est foutu. Les auteurs, sans doute pour des raisons pédagogiques, font parler les vieux à grands renforts d'adverbes de manière. On sert aux pauvres gosses du « conséquemment, subséquemment », et des phrases ampoulées impossibles à digérer. Rajoutons que le schéma narratif est ultra compliqué en raison d'un trop grand nombre de personnages aussi stéréotypés que ceux de  Martine sur papier glacé. Quant au fond, il est tellement niais qu'après huit ans, les chiards vont s'ennuyer. À l'heure de YouTube et des jeux vidéos, support de référence de nos minots, cette satire sociale est complètement dépassée. Et l'histoire de troll périmée. Du coup, je ne sais plus trop à qui s'adresse vraiment le collectif Os'o. 

MANZI: La qualité du jeu d'acteurs forcément ! J'avais écrit la même chose pour Timon/Titus mais je le répète tant c'est la force de ce collectif. Souvent, je suis incapable de suivre un conte, surtout quand il a vocation à être destiné au jeune public, tant mon esprit divague et l'histoire zigzague. Ici, les deux acteurs incarnent tous les rôles en alternance avec brio et ces flux et reflux de dialogues dégénèrent crescendo dans un registre langagier soutenu mais jamais cucul.

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T'AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI

ZERBINETTE : Que non. La pièce,  sous prétexte de proposer un spectacle pour enfant intelligent, saute à pieds joints dans des clichés éculés. Dans le monde selon Os'o, les profs sont acariâtres et surannés, la hiérarchie abrutie, les flics de grandes folles masochistes (nos amis homos apprécieront l'amalgame) et les adultes d'égoïstes autistes. Une  vision gratuite et bête, sans queue ni tête, où l'ambition de dézinguer systématiquement toutes les institutions fleure la prétention.  

MANZI: Un spectacle jeune public dans lequel on peut entendre plusieurs fois l'air de « Maréchal nous voilà ! » pour accompagner les arrivées du troll Monsieur Arrgghh, une actrice qui gueule « On t'emmerde le troll » et une fin de conte qui se conclut par « Ils vécurent tous heureux sauf bien sûr ceux qui étaient morts » mérite mes félicitations. Dans un contexte où l'on ne pourra bientôt plus manifester, cette fable arrive à poing nommé pour proclamer la nécessité de se questionner et de contester les abus d'autorité.