Alors que Cyrano, le projet de série théâtrale sur lequel l'équipe du CDNOI travaillait depuis deux ans avortait, le duo Tobelaim / Rosello n'avait que quelques mois pour sortir une pièce du chapeau. Cet accouchement presto fut finalement un cadeau. Intérieur(s) est l'enfant du renouveau. Bravo.
PASSE L'HISTOIRE À LA PASSOIRE
ZERBINETTE : D'intérieurs et d'histoires, il y en a 5. Celles qui se jouent dans les maisons, où le fil rouge, outre l'intimité, reste celui du drame familial, sur fond d'hilarité. On y traite les traumas avec cynisme et légèreté. Et celle qui se joue dans le théâtre, dont les frontières spatiales ont explosé. L'histoire du spectateur convoqué sur le plateau, tour à tour témoin, voyeur et acteur. Dans chaque maison, un conflit. La mère abandonnante ressurgit le jour du mariage de sa fille. Un trio parents plus ado essaie de rester à flot malgré le fils mort trop tôt. Un couple moderne interroge ses limites quand l'amour fait faillite. Un guitariste nous questionne sur notre rapport à l'altérité, face à E.T. Partout, la question des limites, du couple, de la famille, du mariage, et de l'humanité. L'intimité devient fraternité.
MANZI : Pour une fois, je déroge à la règle et je rebondis sur ce qu'a talentueusement décrit Zerbi. De mon côté, j'ai compris que ces mini-histoires tragicomiques jouées parallèlement démontrent la singularité de chaque foyer et l'inefficacité des pouvoirs publics quand ils s'enlisent à faire cohabiter leurs administrés à coups de célébrations de masse plus populistes que populaires.
SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO
ZERBINETTE : « Ça y est, ils ont démonté la porte du Grand Marché » entendait-on un mois plus tôt, chez les aficionados. Certes, la bravade était dingo. Outre la mythique porte envolée et une moitié des sièges démontés, Inté-rieur(s), c'est 4 maisonnettes implantées, autour d'un boulodrome aux allures de forum. 4 parcours de spectateurs obéissant à leur instructeur. Une fourmilière magistralement gérée par des acteurs G.O, le tout dans un foutraque esprit de colo. Plus de scène, plus de plateau. Un spectacle ambulatoire pour repenser le territoire.
MANZI : « Ce qui a été fait pour Inté-rieur(s) se voit à l'extérieur. » Voilà la formule (bifi)douce que j'utiliserais pour résumer le prodigieux travail de scénographie engagé sur cette création. Le CNDOI a mis les moyens et on peut s'en rendre compte à tous les niveaux : les décors sont chiadés, les lumières et autres dispositifs sonores éclectiques multiplient les ambiances ressenties. Bravo pour l'utilisation de toute cette technologie au service d'une conviviale synergie.
ET TOI T'AS RESSENTI QUOI ?
ZERBINETTE : Une forme d'ivresse résultant d'un état de confusion spatiale. Dans ce lieu que pourtant je connais, je ne savais plus où j'étais. L'étonnement fut rafraichissant. Une joie enfantine ensuite, parce que pour une fois les spectateurs autour de moi étaient jeunes, réunionnais, et emballés. Parce qu'enfin le public était à l'image du territoire. Et que ce spectacle ambulatoire a su stimuler l'énergie de l'auditoire.
MANZI : J'avoue que j'étais un peu sur mes réserves après ce départ en 4 sous-groupes avec des acteurs beuglards, la répétition chorégraphique d'un tube ringard, entre théâtre immersif un peu poussif et grande messe de boulevard. Inconditionnel de théâtre de rue – on pense forcément à la géniale compagnie des 26 000 couverts– j'ai été déçu par ces temps de regroupement, faux instants participatifs de spectateurs-acteurs quelque peu dubitatifs. Par contre, j'ai vraiment été embarqué par les quatre histoires familiales, avec des écritures réalistes, absurdes, décalées et interprétées avec virtuosité.
CE QUI T'A MARQUÉ SANS T'ÉTALER
ZERBINETTE : La finesse de la mise en abime. Avec Inté-rieur(s), on n'entre pas seulement dans un drame familial, on pénètre dans la complexité d'une dramaturgie. La mise en scène donne accès à ce qui est normalement caché. On se délecte alors de cet envers du décor. De cette intimité théâtrale, à laquelle habituellement on nous refuse l'accès. De son fauteuil, tandis que se déroule l'action principale, on voit Rosello se ronger les sangs, Lolita Tergimina changer de peau, les comédiens aller et venir dans ces coulisses mises à nu. Kaléidoscope incongru mais diablement bien fichu.
MANZI : Comme Zerbi, j'ai adoré observer cette petite communauté en mouvement. Le spectateur curieux peut ponctuellement sortir du jeu pour repérer les coulisses et ses enjeux. D'abord contrarié par la musique ou les répliques des autres « intérieurs », j'ai adoré me caler sur ces interférences poly-rythmiques et brillamment synchroniques. Partager l'intimité de l'appartement n°1 et, dans le même temps, se faire surprendre par une parole ou un son émanant de l'appartement n°4 déjà visité permet d'expérimenter une forme contemporaine de temporalité et de théâtralité.
T'AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI
ZERBINETTE : Côté écriture, avis plus contrasté. Si la plume incisive de Marie Birot m'a amusée et celle de Sully Andoche régalée, les autres textes m'ont moins emballée. Face à une mise en scène de cette qualité, ces histoires familiales brossées à grands traits manquent un peu d'intensité. Peu d'émotions malgré la multiplication des agôn. Mais la pièce m'a plu pour d'autres raisons. Les acteurs servent avec brio une scéno maitrisée au cordeau. Malgré sa durée (plus de deux heures de déroulé), cette pièce n'ennuie jamais. Bien au contraire, elle démontre sa capacité à divertir, sans abrutir, à rassembler sans politiser. Reste qu'en raison de la multiplicité des parcours, et de la mise à nu des coulisses, personne n'aura vu le même spectacle. De là à penser que le spectateur d'Intérieur(s) est un peu créateur, il n'y a qu'un pas. Ou un coup de maître(s) que je salue bien bas.
MANZI : Oui il faut aller voir cette nouvelle création car chaque spectateur sortira en ayant assisté à un spectacle similaire mais avec la conviction d'avoir vécu un cheminement extraordinaire. Le format et la particularité de ces quatre instants de vie font que l'on ne s'ennuie jamais et si c'était le cas, il suffit de tourner la tête pour repérer un technicien s'affairer, une comédienne-ourse galérer pour se changer ou un acteur quitter son foyer pour ne pas louper son entrée dans la maison d'à-côté. En plus, si vous aimez la guitare électrique, les extra-terrestres et le théâtre d'objets, vous allez être scotchés !
© photo : Flore Baudry pour le CDNOI
Allez, va voir cette pièce vivifiante aux dates suivantes : mardi 23, jeudi 25, vendredi 26 et mardi 30 avril.