Ce soir à Champ fleuri, le plateau a des allures de grande braderie. Capharnaüm de tables jonchées d'objets hétéroclites, lampes de bureau aux lueurs feutrées, batteries et autres instruments de musique posés ça et là, bref, on est loin du kitsh attendu dans un studio hollywoodien. Pourtant, te voilà bien dans la matrice de Blockbuster. Chez les accoucheurs belges, la maïeutique est parodique. Aux forceps, citoyen !
Il était une fois un grand patron très riche et très égoïste qui voulait échapper à une nouvelle mesure gouvernementale visant à taxer les hauts revenus. Il était une fois une journaliste très belle et très héroïque qui travaillait à dénoncer les malversations des patrons échappant aux taxes via l'investissement dans des sociétés offshore. Il était une fois le peuple, manipulé et opprimé, qui, appelé à la rébellion par ladite journaliste et ses sbires, décidait de changer la face du monde.
Le script n'est pas de Mélenchon, mais de Nicolas Ancion, plume du Collectif Mensuel.
Côté distribution, les belges du dit collectif ont tapé dans le gratin américain.
Le patron, c'est Michael Douglas. La journaliste c'est Julia Roberts. Le premier ministre c'est Tom Cruise, et l'homme de main en charge d'empêcher toute rébellion sociale notre brave Stallone. Entre autres, parce que coté têtes d'affiche, la liste est longue.
Si tu te demandes comment tu as pu échapper à un tel nanar, et que tu t'imagines que Pitt et Stallone ont bossé pour l'industrie de la frite, respire, Blockbuster est une blague belge.
Un montage parodique, réalisé avec les séquences les plus connues du cinoche américain. Objectif : amener le public à une réflexion sur la conscience collective face aux manipulations de masse. Nous y reviendrons.
Concrètement, le Collectif Mensuel a détourné 1400 plans séquences puisés dans 160 films pour un montage désopilant. La bande sonore originale a été effacée ; et pour cause : elle est réalisée en direct devant toi brave spectateur par 3 comédiens qui doublent toutes les voix.
Et là, disons-le sans ambages, c'est du grandiose niveau technique et artistique. Sandrine Bergot se coltine tous les personnages féminins avec brio et culot. De Whitney Houston reconvertie en bécasse populiste à l'inénarrable M de Bond, cette formidable comédienne vocalise à tout va. Une vraie shiva.
Chez les hommes, même performance, avec les truculents Quentin Halloy, Baptiste Isaia, Philippe Lecrenier, et Renaud Riga, qui se partagent respectivement les voix masculines et la musique.
Voir que deux bougres munis de casseroles et guitares remplacent à 4 bras tout le tralala sonore californien, est à la fois jouissif et fascinant. La fabrique artisanale des bruitages du Blockbuster désacralise le fameux savoir-faire amerloque. Avec un bout de plastique froissé et deux cuillères en bois, nos cinq belges remplacent allègrement l'armada des studios Lucas. Du DIY hilarant pour un résultat bluffant.
À l'écran, scéno musclée, rythme effréné : quand la machine est lancée, on n'a plus le temps de souffler.
J'ai été moins emballée par l'écriture, et le côté démago du propos. Le public, à qui on montre pendant une heure vingt l'ignominie du libéralisme économique est appelé à se révolter. Et de lui balancer, lignes blanches sur fond galactique, à la manière des intro narratives à la Star Wars, un gentillet pensum contestataire aussi percutant qu'un tract bobo pour le compost écolo. Quitte à secouer le peuple, j'avais largement préféré le propos de Pommerat, dans « Ça ira fin de Louis », pour nous avoir montré, outre sa beauté, la complexité de l'utopie démocratique.
Mais j'avais, il est vrai, beaucoup moins rigolé.
Zerbinette