ANTIGONE, DU RIFIFI DANS LE CARI

5 ans après la sortie de Kisa mi lé, un seul en scène qui marquait le retour du comédien sur son île, voilà que Daniel Léocadie  saute dans le grand bain athénien avec Antigone de Sophocle, tragédie maintes fois revisitée et annoncée comme la superproduction locale de la rentrée. Parmi les rares compagnies théâtrales réunionnaises à jouer au Plein Air, habituellement réservé aux concerts, l’équipée Kisa mi lé ouvrait courageusement hier le bal théâtral. Attendue au tournant, elle a offert un spectacle hétéroclite, que Bongou te décortique. 

ZERBINETTE : Bonne nouvelle, le public était au rendez-vous dans l’amphithéâtre bondé de Saint -Gilles, où mille personnes attendaient avec un enthousiasme affiché l’ovni culturel proclamé. Sur le plateau, l’ancrage réunionnais est posé d’emblée par le rond coq, tapis de poussière qui génère de beaux effets de lumière quand s’affrontent les adversaires. Cependant, les modules en cageots et le rideau de fond façon chambre froide de supermarché célèbrent le règne du plastique peint, ce que j’ai trouvé assez vilain. Qu’en penses-tu cher copain ?

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MANZI: C’est effectivement assez convenu et archi déjà-vu, ma chère morue. Cette scène sans coulisses n’est pas un lieu très propice pour les raffinés artifices et j’ai tout de même apprécié l’exploitation multi-dimensionnelle de l’édifice. L’arrivée du premier moringueur au milieu du public, Ismène en hauteur près des projecteurs ou encore Tirésias côté jardin ont bien occupé le terrain. L’acteur Didier “Manéo” Ibao en devin aveugle, c’est quand même cocasse mais c’est clairement l’un des plus loquaces. Si cette troupe revendique un esprit d’équipe, il aurait fallu que le sélectionneur soit plus intransigeant pour sa composition et change notamment le brassard de son capitaine barbu. Sinon, le chœur avec Maestro Waro, c’était vraiment canon, non?

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ZERBINETTE: Je te rejoins complètement sur la qualité inégale des interprétations. L’incarnation proposée par Créon m’a semblé trop potache pour révéler le cynisme du tyran, dont les ânonnements tranchaient avec la verve d’un Ibao ou le charisme mimétique des moringueurs. J’ai par ailleurs préféré la Lolita/ Eurydice à la Lolita/Antigone, dont le jeu tout en force m’a essoufflée. Idem pour Léone Louis, plus crédible en page oracle qu’en Ismène éplorée. Heureusement, les respirations manquantes furent apportées par la trouvaille géniale de cette représentation : le chœur antique réunionnais orchestré par un Danyèl Waro habité. Ces artistes multitâches ont ragaillardi la machine, tout comme l’alternance du français et du créole entre dialogues et chansons ; qui a contextualisé le propos avec brio. Côté costumes féminins, si j’ai adoré le Madmax wear des amazones en rangers, je m’explique d’autant moins le choix des uniformes surannés dont tu as souligné l’incongruité. Explique-nous ton courroux.

MANZI : C’est connu, moi et mon sempiternel jean-basket-tee-shirt, je suis clairement la personne référente pour causer fripes. Oui, je n’ai pas compris la référence de ces sapes désuètes qui ne rappellent même pas l’ambiance des théâtres grecs et je ne comprends pas pourquoi la majorité des compagnies réunionnaises ne repense pas leur garde-robe pour s’orienter vers une esthétique contemporaine. C’est bien gentil de causer chiffon mais je te propose un sujet plus coton: tu m’as l’air convaincue par l’usage alterné du français (environ 80% des répliques) et du créole (20%) mais pourquoi une partie des gens riaient quand les dialogues basculaient en créole? Quand l’homme de main de Créon essaie de défendre sa position, le créole dans ce registre burlesque est logiquement une invitation au rire et les tirades sont aussi réjouissantes que dans l’adaptation de Marivaux par Lolita Tergémina. Or, quand le créole s’immisce dans une envolée tragique, certains spectateurs semblaient détecter du comique et je ne suis pas convaincu que les metteurs en scène s’attendaient à ces réactions du public. Si le maillage créole/français est une réalité dans notre oralité quotidienne, je me pose des questions sur sa portée scénique. Quitte à être un peu paumé, j’ai clairement préféré la VOST des chants de Danyèl Waro qui fusionnent les croyances païennes ou religieuses et transpirent d’émotions. Tu vas me traiter de rabat-joie ou tu valides mes réserves sur ce déséquilibre linguistique?

ZERBINETTE : Les rires, qu’ils habillent les tirades en français ou en créole m’ont surtout rappelé que le théâtre grec était un lieu vivant, et m’ont toujours semblé bienveillants. Il n’est plus à prouver que le créole peut dire le tragique, et les parties chantées par Waro, l’ont merveilleusement montré. Je regrette en revanche que cette adaptation n’ait pas traité des résonances politiques de la pièce dans notre monde contemporain. Malgré ces chicaneries, c’est un spectacle que je recommande pour l’énergie engagée, à étendre les possibles de la créolité. Tu valides ma logorrhée ?

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MANZI : Tu aurais voulu qu’Emmanuel MaCréon se repente davantage face à la rebelle Antigone et sa horde d’anti pass? Franchement, chacun est libre d’ interpréter cette tragédie comme bon lui semble et si cette pièce a pu voyager des Cyclades au pays des cyclones, c’est déjà un pari gagné. Pourvu que des questions soient soulevées. Nous avons assisté à une première et si certaines fragilités m’ont dérangé, je suis ravi que cette aventure théâtrale prométhéenne débouche sur un succès populaire.