SOIS FORT: DÉCRIS LE DÉCOR
MANZI : Rien et ma foi c'était quand même bien. Surtout quand les éclairages sont aussi recherchés et complémentaires avec des tableaux enchaînés à la vitesse de la lumière, tantôt étincelante, inquiétante voire fumante. On parlera donc plus d'habillage que de décor.
ZERBINETTE : Loin des carcasses chevalines enchevêtrées d'un Platel, King épure. Rien pour détourner l'attention. Une scéno qui appelle à se concentrer sur le travail des corps et des visages, sur la musique, qu'elle soit vocale ou instrumentale, chantée ou parlée. C'est un retour à l'essentiel, une forme pure.
PASSE L'HISTOIRE À LA PASSOIRE
ZERBINETTE : Voici l'histoire d'un chorégraphe qui met son art au service de la célébration d'une langue disparue. Autant le dire, ardu. En collaborant avec le poète Bob Holman, qui, dans Figures of speech, propose un recueil de poèmes indigènes, King confronte ses danseurs à l'urgence. Danser une langue en perdition est un projet fou. À convoquer Babel après l'heure, on risque de perdre le spectateur. Pourtant, les corps racontent, avec une grâce hypnotique leur présence au monde chaotique.
MANZI : Vous cherchez encore des histoires dans la danse contemporaine vous ? Comme tout le monde, j'ai lu le programme des Téat et j'ai compris qu'Alonzo King voulait dénoncer la disparition de certaines langues en proposant un collectage de dialectes, poèmes de locuteurs natifs censés interagir avec les corps. Je ne sais pas dans quelle mesure ça va sauver ces patois mais si le propos apparaît un brin ésotérique, le rendu est très esthétique.
CHORÉGRAPHIE AU BISTOURI
MANZI : Des corps souvent en contorsion, des torses en ondulation, des jambes élancées qui n'en finissent pas de monter, des piqués décalés sur fond de djembés. L'ensemble aurait pu être haché et cliché ; or il sublime les corps avec une combinaison classieuse de pas classiques et de gestuelles inhabituelles, proches du hip-hop ou du Tai-chi.
ZERBINETTE : Quand on sait la torture que subit le pied dans le moignon plâtré des pointes, on admire tant de grâce sans plainte. Ce choix résolument classique pour une chorégraphie dite contemporaine apporte aux mouvements légèreté, brio et technicité. Les danseurs d'Alonzo sont des virtuoses qui allient avec magie prouesses et décontraction.
CE QUI T'A MARQUÉ SANS T'ÉTALER
ZERBINETTE : Outre la beauté confondante de ces danseurs et leur technicité, j'ai été réjouie par cette mixité. Oui, je l'avoue j'aime voir noirs et blancs danser. Non plus pour parodier, comme le proposait la truculente Dada Masilo, dans Swan lake, des grandes pièces du répertoire, mais pour incarner l'excellence, sans préférence.
MANZI: Un peu gêné, Pascal Montrouge – le directeur des Téat – me confiait avant la représentation ses ressentis sur cette compagnie en vantant la beauté des danseurs. Et dès les premières minutes, j'ai compris ce qu'il voulait dire. Évidemment qu'il n'y a pas pas que cette dimension plastique à mettre en avant mais quel pied de voir des enchaînements aussi bien exécutés avec des corps tellement galbés ! Avouez que vous aussi, vous avez complètement craqué sur cette étoile métissée :
T'AS AIMÉ OU PAS? SOIS FRANC OU TAIS-TOI
MANZI: Si cet enchaînement de clips dansés ne m'a pas bouleversé, il m'a complètement scotché par sa sublimité et ses chorégraphies variées. Cette répétition de poses virtuoses n'est jamais onaniste ni maniérée. La bande-son déstructurée apporte un liant à tous ces enchainements de mouvements, aussi épatants que divertissants. C'est un spectacle total et original.
ZERBINETTE : Oui. La première pièce pour le régal esthétique. La voix baroque de la mezzo-soprano Maya Lahyadi sublimait ces pas de deux très épurés. La seconde pour l'état de transe induit par la danse. À l'instar de celui du boléro, le dernier tableau, où corps à la chaine se mouvaient entre grâce et peine, m'a envoûtée.