Ahmed, qui se voulait le Scapin moderne et subversif du théâtre contemporain imaginé par le philosophe Alain Badiou est revenu au CDNOI. Il devait nous bousculer, nous provoquer, nous questionner, nous faire rire et nous étourdir. Pieux désirs. J'ai rêvé de m'enfuir.
SOIS FORT, DÉCRIS LE DÉCOR : Déjà, ça ne commence pas fort. Côté cour, les techniciens bidouillent à vue. Sans que cette nécessité soit justifiée. Certes, ils placardent tout au long de la représentation des numéros, sur un cadre métallique. S'agissait-il d'annoncer un découpage chronologique ? Thématique? L'affichage reste énigmatique. Parfois, ils tendent une veste ou un masque au comédien. Et ça n'apporte rien. Au centre, une micro-scène où Ahmed se démène. Le lieu des frasques et du masque. Mise en abyme tellement convenue qu'on n'en veut plus. Côte jardin enfin, table et bouteille d'eau. Dans cette cartographie désuète et gratuite, Ahmed se déplace sans parvenir à signifier l'utilité de tous ces objets. Comble de malheur, la salle reste allumée. Ton repos n'est plus assuré.
PASSE L'HISTOIRE À LA PASSOIRE : D'histoire justement, il n'y en a pas. Didier Galas m'avait prévenue, Ahmed nous embrouille pour qu'on se laisse porter par la poésie de sa logorrhée. Mais le plus souvent, la prose oscille entre un Devos frelaté et un Molière suranné. Le discours est porté avec tant d'emphase que le jeu de mot agace par ses prétentions. Infatigable lanceur, le comédien s'évertue à jeter les traits d'esprit d'un Badiou plus dans le coup. Personne ne rit. À trop dire : « jouis ! », la libido s'enfuit. Reste qu'à vouloir aborder tant de sujets, qu'ils soient politiques, historiques, littéraires, ou philosophiques, ce Scapin maghrébin nous perd et l'on n'apprend rien.
SCÉNOGRAPHIE AU BISTOURI : Dans ce décor vieillot, aucun des espaces ne sert le propos. Les chorégraphies désarticulées crient leur gratuité, le masque devient objet pédagogique bien pathétique et le rideau de scène, soudain linceul de naufragé ne suscite aucune pitié. Qu'on allume ou qu'on éteigne la salle, quels que soient les déplacements, les propos, ou les objets sollicités, rien ne se crée. Si ce n'est l'ennui, qui vient solidement, s'ancrer.
CE QUI T'A MARQUÉ SANS T'ÉTALER : Scapin s'appelle Ahmed. La couleur est donnée, on s'attend donc à un discours politique réactualisé. Mais sa peinture du racisme ordinaire est datée. Il nous dépeint la beaufitude des années 80, où les franchouillards fustigeaient les noirs et les arabes. Il nous décrit les lepénistes des premières heures, qui pour être dangereux avaient au moins le mérite d'être repérables. Mais un discours sur le nouveau visage du racisme, celui qui cache sa perfidie sous des atours policés, des propos cultivés, une noirceur maitrisée, eut été plus d'actualité. Enfin le sujet des migrants, de loin le plus important, a été traité avec tant de rapidité et de vacuité que cette peau de chagrin dramaturgique a achevé de nous consterner.
T'AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI : Les qualités de l'excellent comédien qu'est Didier Galas n'ont pas suffi à sauver un texte et une mise en scène qui n'apportent aucune vision claire sur les sujets contemporains. La tentaculaire blague testiculaire d'Ahmed sur sa cousine Fatima, et sa vision, à hauteur de caleçon, m'a presque fait regretter Bigard. Si le Scapin des temps modernes ne fait plus rire ni réfléchir, on n'aura point de peine à le voir définitivement partir. Ce qui ne présage rien de bon pour l'avenir.
Zerbinette