Abstract – Manqué ?

Vendredi soir, à Lespas, la Compagnie 3.0 – Edith Château présentait sa nouvelle création Abstract – Un Monde, une pièce chorégraphique qui nous plonge dans un univers futuro-minimaliste, invitant le spectateur « à réfléchir sur son propre cycle ». Pour moi, ce fut surtout un trip dans lequel je n’ai pensé à rien. Et pour Bongou, penser à rien c’est déjà beaucoup.

© Olivier Padre pour Lespas

© Olivier Padre pour Lespas

Si se déplacer dans une salle obscure en ces temps apocalyptiques est quasiment un acte militant, il fallait être bien préparé (surtout ne pas boire de café et rester bien anémié) pour se plonger dans cette dimension en suspension. Pour une fois, le port du masque, imposant au spectateur de se focaliser sur sa respiration et ralentir ses pulsations, facilite l’abandon. J’avoue que la lecture du roman Yoga m’a également épaulé dans cette immersion même si les contorsions dansées sont heureusement moins vénères que l’électroconvulsothérapie endurée par Emmanuel Carrère.

Du LSD pour aborder le VSD

Point de vue électro, l’audience a été comblée : Kwalud, comme son nom l’indique, nous a concocté une bande-son hallucinée aussi organique qu’orgasmique. Pour apprécier, j’avoue même avoir fermé les yeux afin de plonger dans ce cosmos naissant : ce n’était pas de la lassitude mais une envie de flotter sur ces latitudes. Je ne sais pas si ce producteur électro fait dans l’ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response) mais j’étais bien peinard dans ce nulle part.

© Olivier Padre pour Lespas

© Olivier Padre pour Lespas

Le premier tableau nous présente une créature recouverte de longues piques dorsales se déplaçant à l’aide de quatre échasses, d’abord lentement puis avec une aisance proche de la transe. Version cyber-punk trendy du Dieu-cerf de Princesse Mononoké, cet esprit créateur prend vraiment de l’ampleur quand il se meut sous son vertical projecteur. Il faut souligner le travail sur les lumières de grande qualité et le mapping vidéo très pro qui enjolive avec parcimonie les tableaux. Si, dans notre monde d’Après (appellation d’origine contrôlante), certains imaginent la diffusion de la Culture complètement numérisée, il faut rappeler que le digital a tout à fait sa place dans les salles si elle contribue au lien social. L’espèce humaine a besoin de sublimer le réel sans pour autant se vautrer dans le fantasme virtuel. À ce titre, ce spectacle propose un dosage très équilibré.

© Olivier Padre pour Lespas

© Olivier Padre pour Lespas

Revenons à nos danseurs. Ou plutôt à nos tisseurs aériens. Nous voici dans le deuxième tableau. C’est toujours très beau. Je n’envisage toujours aucun scénario mais je crois comprendre que deux formes de vie veulent s’extirper de leur cocon tout là-haut. Ce n’est pas vraiment de la danse ni complètement du cirque et leur résistance à descendre sur le plateau de danse va entamer ma résistance. À force d’hésiter à poser un pied à terre, ces organismes unicellulaires exaspèrent. En tout cas, moi je me perds. Et je m’envole par la pensée au Grand Marché où se tient simultanément la performance Appuie-toi sur moi avec deux circassiens qui utilisent ce tissu aérien avec plus d’entrain. Sorti de ma primitive méditation, j’essaie de ressentir des émotions devant ces circonvolutions mais seule la musique me procure des vibrations. Si l’intention de cette création ne repose pas sur une vraie narration, je vois s’enchaîner l’habituelle routine en quatre temps : observation, répulsion, fraternisation et fusion. Ma foi pourquoi pas. Sauf que les mouvements en apesanteur étaient crispés pour mieux signifier l’hésitation et la timidité alors qu’on pouvait espérer un peu de légèreté et de facilité avec ce type d’agrès.

© Olivier Padre pour Lespas

© Olivier Padre pour Lespas

Enfin au sol, les deux progénitures s’aventurent et rencontrent leur génitrice créature. La cadence devient plus intense et ce ballet entre ces trois entités, s’il fait preuve d’originalité, peine à me transporter par ses arabesques trop heurtées et une simultanéité que je n’ai pas réussi à appréhender. Résultat de la baston : la matrice est vaincue par ses deux rejetons qui s’en vont découvrir une autre dimension. (Ndlr: j’ai été aidé pour vous proposer cette interprétation)

Si j’ai passé une première partie en suspension, enthousiasmé par le son et les projections, mon seuil inextensible de contemplation m’a extrait de ce micro-cosmos en progression. Le “monde abstrait” proposé par cette compagnie devrait cependant attirer la curiosité de spectateurs en quête de voyage cosmique et les amateurs d’ambiance électronique somatique.

Manzi