Le jour se lève. Il remonte chez lui, sonné. Plus possible d'avancer comme avant. Les paroles de la femme cognent dans son ventre. Les coups ne s'arrêtent pas. Il faut écrire. Alors Fontano cherche un support. Bien évidemment, il se tourne vers l'écriture théâtrale, parce que cette parole entendue avait un corps. Et que le théâtre lui semblait le moyen le plus efficace pour traduire l'énergie contenue dans les mots de cette femme.
Et il attaque. Comme un bucheron qui ne frémit pas devant la cognée, si rude soit-elle. : « J'écris ma première pièce. « 4 heures Grand matin ». En créole. Ça m'a bouffé la tête. » Comble d'ingratitude, personne ne la lit. Et pour cause.
À l'époque, le théâtre en créole n'est pas en vogue. On l'accuse d'être nombriliste. Du théâtre de niche. Folklorique ou victimaire. Et on le traite souvent avec condescendance. Là où la langue des îles doit chanter l'amour, Fontano lui, raconte l'histoire d'un homme qui frappe son fils et le tue. S'attaque comme un Zola à la rugosité d'un fait divers : « C'était une pièce étrange. Tragi-comique. Inclassable. Je raconte tout ce qui se passe entre le père et le fils avant la baffe, et avant le meurtre. C'est un huis-clos, mais le mort fait des blagues. Je me rappelle l'avoir fait lire à un grand nom du théâtre réunionnais. Il m'a répondu que personne ne viendrait voir ça un samedi soir. »
Acharné, il retourne à la fac. Frappe à la porte du dernier théâtre susceptible de le recevoir, puisqu'il est étudiant. Il a 21 ans et le culot de la jeunesse : « Je vais voir Thierry Bertil et je le saoule pour qu'il lise ma pièce. Le temps passe. Pas de nouvelles. Ça me ronge. Et un jour il m'appelle. »
Bertil est en fin de mandat. Il a envie d'avoir la paix et sent que le gamin ne lâchera rien. Alors il abat ses cartes : « Je te file deux dates. Tu te démerdes. Après je quitte le théâtre. ». Fontano se souviendra qu'il avait ce jour-là le sourire d'un homme heureux de lancer son dernier défi.
La mise à l'étrier est abrupte, et l'adoubement incertain. Mais le gamin saisit ce que l'occasion a d'extraordinaire. Aussitôt, il arrête les cours et la fac. Lucide pourtant. Il se tend bien compte qu'il ne connait rien. Qu'importe. Le temps presse. Il se met en quête d'acteurs « Dans ma tête, je me dis, je n'aurai pas d'autre chance. Donc on y va. Je cherche des étudiants. Je ne prends que des fortes personnalités. Des cocos durs. On s'enferme pendant un mois et on ne fait plus que ça. C'est la mère d'un gosse qui nous amène à manger. On est complètement inconscients. Je suis brûlé par ce besoin de dire, d'écrire. Je me dis : je dois faire ça. Il faut que ça soit dit. »
Mais au fil de l'écriture, et de la mise en scène, il s'adoucit. Et finit par changer la fin. Il supprime le meurtre. Comme si le dialogue intérieur avait pu apaiser les relations entre ses personnages. Une concession que ses acteurs vivent comme une trahison : « Un jour j'arrive et les 9 sont assis et ils me font la gueule. Ils ont lu ma nouvelle version. Ils me disent ça peut pas finir comme ça. Moi j'étais tombé amoureux de mes personnages et j'avais fait un happy end. Au lieu de tuer son fils, le père tapait dans le mur. Alors je les vois s'insurger. Ils me disent que ça ne fait pas vrai. Que nous sommes allés trop loin dans le nœud du tragique, pour que le monde se répare. Qu'il ne reste que des larmes à cette histoire et qu'il va falloir vivre avec. Je rentre chez moi en pleurs »
Le lendemain, il revient avec une autre fin. Le père tue son fils parce qu'il ne le comprend pas. La trahison est oubliée, la date de la première approche, les acteurs sont prêts.
Pour le public, c'est une autre histoire.
Le soir de la première, la salle est pleine. Parce que la pièce est en créole. Et que les gens s'attendent à une comédie. Le spectacle dure une heure : ” Au fur et à mesure, je vois la salle se tasser.”
Fin de la représentation. Ambiance glacée dans les rangs. Enfin, une femme s'avance vers le jeune auteur. . .
À suivre . . .
Propos mis en forme par Zerbinette avec la collaboration précieuse de Vincent Fontano.
L'épisode 1 est à lire ici.